Récit d’une folle journée en Alsace... (extrait - cf Revue janvier 2014)
Tout a commencé en 1983. Des sages-femmes libérales éparpillées aux quatre coins de la France, isolées, en voie de disparition décident de se regrouper pour s’entraider, se défendre, se faire reconnaître
Quoi de neuf en fait ?
C’est cette question qui a motivé les membres du conseil d'administration. Car si les difficultés qui ont présidé à la naissance de l’ANSFL sont toujours d’actualité, alors comment fêter les trente ans...
Lorsque nous avons décidé d’organiser une grande et belle fête en l’honneur de notre association, il apparaissait évident que notre devenir professionnel devait, comme en 1993, et comme chaque année depuis, être mis en perspective. C’était en février 2013.
Nous ne savions pas alors que les sages-femmes allaient se mobiliser, s’unir au-delà de la pratique libérale. Et nous vous avons proposé de relire notre passé commun pour réfléchir à notre avenir.
Nous avons travaillé avec la troupe de théâtre «Artsinoë». Nous avons aussi sollicité un historien, une sage-femme sociologue et une sage-femme libérale pour travailler notre pratique. Nous avons recherché et trouvé une artiste (italienne) pour réaliser l’affiche. Nous avons réuni CA sur CA, nous avons échangés des mail s innombrables, nous avons écourté nos nuits, nous
avons délaissés nos compagnons, nos enfants. Nous avons soumis les BV à rude épreuve, nous avons compté et recompté les présentes, les annulations, les inscriptions de dernière minute.
Nous avons négocié des chambres supplémentaires, les bus à affréter, les participations des labos.
Nous avons désespéré les sages-femmes alsaciennes connues pour leur rigueur et leur efficacité. Et nous vous avons présenté les trente ans de l’A.N.S.F.L.!
Alors, récit d’une folle journée en Alsace
La cérémonie a débuté avec la présence sur l ’estrade de toutes les présidentes qui se sont succédées depuis la naissance de l’ANSFL : Françoise Olive, Jacqueline Lavillonnière, Florence Hélary, Laurence Platel et enfin Madeleine Moyroud. Avec Hélène en maître de séant, Françoise a témoigné des premières études qui ont été entreprises par l’ANSFL, sur la césarienne en particulier. Jacqueline nous a émues en expliquant qu’elle ne savait toujours pas comment elle était devenue présidente. Florence nous a fait rire lorsqu’elle s’est brusquement rappelé que «ah oui, j’ai été à une période pré-sidente-secrétaire-trésorière, j’avais oublié». Laurence égale à elle-même a une fois de plus prouvé sa modestie et sa timidité en revendiquant «La Lettre » comme son bébé, le rose aux joues. Madeleine, présidente en place, était toute «estransinée »* par l ’anniversaire et son organisation, elle en a un peu perdu son latin!
Je serais impardonnablement incomplète si je ne parlais pas du diaporama qui tournait en toile de fond derrière les présidentes : Hélène a retrouvé quasiment toutes les Lettres depuis la première édition. Elle a fini son montage à 3h du matin le 29 novembre (ah, les sages-femmes et l ’urgence...) et nous avons pu découvrir au fil des photos les différentes couvertures, les
changements de logos, les initiatives prospectives de l 'ANSFL...
Puis on a pu apprécier la qualité des interventions, avec des interludes théâtraux du plus bel effet, qui ont d’ailleurs surpris tout le monde, organisatrices comprises. Et qui nous ont donné un avant-goût de ce qui nous attendait pour l’après-midi. Nous avons également goûté à une gestion du temps aussi efficace qu’agréable au son de la sanza toujours avec l’aide de la troupe de théâtre.
Après une brève pause repas, nous sommes revenues dans la salle – à l ’heure-, souvenez-vous, cela se passe en Alsace... Et là, les portes se sont fermées sur l ’assemblée, la lumière a été tamisée et le spectacle a commencé.
Nous étions prévenues, jusqu’à 17 h, pas de pause pipi, pas de coup de fil urgent, juste nous et les acteurs, nousface à nous-mêmes !
Les sages-femmes ne sont pas dociles,c’est bien connu et il y en a bien une qui a quitté la salle au bout de 10 minutes.
Toutes les autres sont restées. Il faut croire que le théâtre –forum les a touché.
Il faut dire qu’il y avait de quoi :
– le choix des thèmes, ciselés, qui nous ont propulsés au coeur de notre quotidien. La troupe nous a proposé 5
saynètes pour amorcer le débat :
- une visite Prado dans une famille qui n’en veut pas, une fin de semaine dans un cabinet de groupe avec deux
mecs et une femme, tous sages-femmes, une naissance en plateau technique où le contrat (oups pardon, le projet) de naissance n’a pas pu être respecté, la consultation de grossesse où le couple règle ses comptes et enfin une inénarrable et néanmoins véridique histoire d'OGDPC et de Conseil de l 'Ordre".
– les acteurs étaient tellement vrais -une exactitude dans les termes, une justesse dans les postures, les gestes qu’on aurait dit que c’était Nous sur scène ! C’était tel lement «nous» que certaines ont joué le jeu. Et l ’ont vraiment fait : elles se sont autorisées, le temps d’un instant, à monter sur scène, pour jouer leur quotidien.
C’est en fait ce que la troupe attendait de nous: rejouer trois des scènes (nous avons voté pour retenir celles que l ’on
voulait «revoir») en apportant un autre éclairage professionnel que celui présenté par les acteurs dans les situations initiales qui semblaient bien délicates.
On nous a d’abord demandé d’apporter collectivement des pistes d’actions, puis une de nous pouvait monter sur scène et mettre en oeuvre ce qui avait été proposé. Ce fut l ’occasion d’échanges d’une grande richesse, avant, pendant et après la relecture de la saynète car il nous était donné d’interrompre le jeu quand on le souhaitait (que l’on soit dans la salle ou sur
scène).
Cela fut aussi l ’occasion pour tous de vivre concrètement le RESPECT. Respect des acteurs, respects de nos consoeurs sur scène, respect de soi dans la mise en oeuvre de solutions alternatives, respect des gens qui vivaient leur situation parentale. Je
crois que c’est ce que je retiendrais de cette tranche d’anniversaire: la qualité du respect qui a traversé la salle pendant
ces trois heures.
Alors, c’est vrai, nous étions un peu loin des négociations pH/pas pH. Mais nous avons avec ce travail théâtral ouvert
des possibles sur notre façon d’exercer. C’est bien de cela dont nous voulions débattre, lorsque nous avons retenu le thème de notre anniversaire.
Et bon sang que cela fait du bien, de rire, de partager et de se respecter mutuellement!
Alors, un grand merci à Artsinoë, aux acteurs, à la metteuse en scène (également gynécologue, obstétricienne –ça
aide à connaître le jargon professionnel- titulaire d’un master d’éthique) à toute leur logistique et aux photos qui ont immortalisées nos prestations d’actrices. Sans oublier les fantastiques et irrésistibles «résumés instantanés»où les acteurs ont fait preuve d’un bel esprit de synthèse, combiné à un sens aigu de l’observation!
Et vivement les 40 ans !
Laurence Cauvin
* estransinée : vient du provençal,signifie tourneboulée, chamboulée.